Une bénévole souhaitait partager avec nous cet article tiré du magazine Capital sur l’incroyable business de l’alimentation pour animaux. Il est très intéressant, mais… fait froid dans le dos ! Apprenez comment lire les étiquettes des boîtes de pâté ou de croquettes qui régalent nos minous, et découvrez ce qui compose leurs mets préférés.

Le marché en or des animaux de compagnie

Des recettes aux marges ultra-alléchantes

Nestlé, Mars, Procter et les autres ont tous une division «pet food» d’une exceptionnelle rentabilité. Car, en dépit de leur aspect appétissant, pâtées et croquettes contiennent surtout des abats et des céréales…

La recette est aussi secrète que peu ragoûtante. Prenez des céréales (souvent des résidus impropres à la consommation humaine), faites-en une espèce de pâte à pain, ajoutez des protéines animales transformées (une farine de déchets d’abattoirs, de carcasses de volailles, de pattes, de têtes broyées et déshydratées), passez le tout dans une presse, faites bouillir. Puis étirez la matière sèche ainsi obtenue dans une extrudeuse, séchez encore, enrobez dans une matière grasse.

Le résultat ? Les croquettes de votre chat, bien sûr ! «Pas mauvais, nous affirme le responsable de la ligne de production, qui vient d’en avaler une poignée comme si c’étaient des bretzels. Un goût de biscotte et de pâté de foie de canard, vous voulez goûter ?» Non merci…

Pas étonnant que les industriels du «pet food», un marché mondial estimé à 45  milliards d’euros dont environ 1,5 milliard en France, cultivent la discrétion, voire l’opacité… Leurs noms sont pourtant très familiers : ce sont les géants de l’alimentation humaine qui règnent aussi sur les écuelles. Surfant sur l’amour des bêtes (80% des maîtres considèrent minet ou toutou comme un membre de la famille), Nestlé, Mars et les autres ont bâti des empires ultra¬rentables en vendant à prix d’or des sous-produits de l’alimentation humaine.

La multinationale suisse réalise ainsi 10,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec Gourmet, Friskies, Fido, Purina One ou Pro Plan, pour des marges (17,3%) supérieures à celles de ses eaux Perrier et Vittel (7,4%), de ses plats préparés (12,3%) ou de sa confiserie (13,8%). L’américain Mars ne publie pas de tels chiffres, mais l’on sait qu’il fait désormais plus de beurre avec ses croquettes et ses terrines (Pedigree, Whiskas, Kitekat, Royal Canin) qu’avec ses barres ou ses M&M’s : 41% du chiffre d’affaires contre
31% pour le chocolat.

C’est qu’en vingt ans ce marché a connu une véritable révolution. «On est passé des balbutiements à une industrie incroyablement sophistiquée, avec une offre hypersegmentée», résume un vétérinaire nutritionniste. Une balade dans un rayon d’hypermarché donne vite le tournis : ciblage des produits par taille, âge, race, style de vie (activité physique soutenue ou pas)… L’alimentation animale s’est aussi mise à promettre des bénéfices santé : chiens ou chats obè-ses, affectés de problèmes rénaux ou de problèmes de digestion ont tous leurs mets spécifiques.

Si l’offre est devenue si touffue, c’est parce que les consommateurs en redemandent, prêts à payer plus cher une barquette de filet de thon pour chats (11,80  euros le kilo) que la boîte de thon à la catalane destinée à leur propre dîner (8,63  euros le kilo). «Dans le panier des clients, ce genre de sacrifice est fréquent, note le responsable pet food d’une grande enseigne. Ils achètent du haut de gamme pour leurs animaux et prennent des premiers prix pour eux-mêmes.»

Or la réalité n’est pas à la hauteur des étiquettes quasi gastronomiques. Dans la pub, les industriels semblent vanter des ingrédients nobles, «lamelles de filets juteux et tendres petits morceaux de viandes», «lapin sélectionné» et «autres céréales complètes». Mais ce vocabulaire ronflant exige une traduction : «Elaboré avec du lapin, cela veut dire qu’il y en a 4%», décrypte un professionnel. Soit 3,4 grammes dans une boîte de 85 grammes. Le reste ? Pas mal d’abats de poulet ou de porc, avec des fragments de cou de dinde par exemple. Si l’étiquette porte la mention «au lapin», on passe de 4 à 14%. «Riche en lapin», plus de 14%. De même, il y a «viande» et «viandes». Au pluriel, le mot n’indique pas un duo de poulet et de canard, mais désigne des abats.

Au singulier, l’appellation est légalement réservée au muscle. Les céréales ? Dans plus de la moitié des cas, il s’agit de son de blé (l’enveloppe du blé) ou de brisures de riz, immangeables par l’homme car contenant des résidus de pesticides, herbicides et fongicides.

Ce genre de bouillie se vend au prix du diamant. Dans le cas de la pâtée pour chat premium, dont nous avons décortiqué les coûts, on dépasse 16  euros le kilo. Il serait moins cher d’acheter du steak haché chez le boucher ! Et vos animaux, essentiellement carnivores, vous en seraient reconnaissants car, du côté industriel, on leur sert surtout des végétaux : en France, le secteur consomme, selon la Facco, sa chambre syndicale, 850 000 tonnes de sous-produits végétaux pour 500 000 tonnes de sous-produits animaux et 230 000 tonnes de protéines animales transformées.

L’immense majorité des aliments contient ainsi deux fois plus de céréales que de viandes… Les industriels gonflent encore la facture avec de coûteux additifs. Car, les chats ne se précipitant pas spontanément sur les céréales, il faut bien leur donner du goût. Chez Diana, leader mondial dans ce domaine des «facteurs d’appétence», y compris dans l’alimentation humaine, une centaine de chercheurs s’emploient à faire saliver nos amis les bêtes.

«Nous savons produire 300 recettes, au bœuf carottes, au saumon, à la bolognaise», assure Jean-Pierre Rivery, le patron de la division pet food. En poudre ou liquides, ces ingrédients entrent pour 2 ou 3% dans la composition des pâtées et croquettes. Autres ajouts : des protéines d’hémoglobine, du gluten de blé pour son côté texturant, des sons de pois pour l’apport en fibres…

Et les fabricants n’ont pas fini de s’amuser. Misant sur l’anthropomorphisme (les maîtres traitent leur bête comme une personne), ils sont en train de décliner toutes les tendances de l’alimentation humaine. «On vient de nous réclamer une recette de terrine pour chats avec des haricots vert, raconte ainsi le sous-traitant d’une grande marque. L’acheteur y voit de la diététique. Mais le chat, bien sûr, laisse les haricots sur le côté de la gamelle.» Au passage, l’ajout des légumes, soigneusement découpés en morceaux de 1 cm, double le prix des matières premières contenues dans la boîte…

Patrick Chabert

Une boîte vendue 16,60 euros le kilo ne coûte que 3,12 euros à produire, dont :
– 1,41 euro pour l’emballage breveté
Près de la moitié du coût sortie d’usine d’une pâtée pour chats haut de gamme  ! Dans cet exemple, il comprend la boîte en alu ultralégère, l’opercule facile à ouvrir et l’étiquetage. Le tout est breveté et usiné par des machines high-tech, souvent japonaises.
– 0,93 euro pour la fabrication
Pour que l’alimentation soit agréable au palais du chat et à l’œil de son maître, les industriels recomposent des «morceaux» de viande et affinent la texture des aliments (notamment la viscosité du jus). Ce travail représente jusqu’à un tiers du coût.
– 0,78 euro d’ingrédients low-cost
L’étiquetage est beaucoup moins précis que dans l’alimentation humaine. Malgré son prix élevé (1,33 euros la portion de 80 g), notre pâtée contient fort peu de matières premières nobles.
2,4 grammes d’additifs Ces «facteurs d’appétence» donnent du goût. En poudre ou liquides, ils sont à base d’enzymes et de foies de volaille ou de porc, broyés et chauffés à haute température.
3,2 grammes de bœuf La boîte indique «au goût de bœuf» : cela signifie qu’il y en a 4% au maximum. Au-delà, la loi permet de dire «au bœuf» tout court.
40 grammes de viande et abats La mention «viande» signifie qu’il y a du muscle, mais cela peut être de la dinde ou du porc même dans une boîte au bœuf ! Le reste : des «sous-produits» (abats de porc et de volaille) et des graisses brutes.
34,4 grammes de céréales Parfois complètes dans le haut de gamme, ce sont surtout des sons de blé et des brisures de riz. On y trouve des protéines et… des résidus de pesticides !

Source : Capital, Janvier 2012